Alchimie des fora

Avertissement - Ce billet estival est une réponse à un jeune forumeur au pseudonyme fataliste, qui m'a interpelé récemment sur les leçons que j'ai tirées de mon expérience de vieux modérateur d'un forum politique : «Quels enseignements tirez-vous de toutes ces années dans les forums ?». Ceci faisait suite au billet de Royal-Artillerie sur le défunt forum Viveleroy auquel on accède utilement en cliquant ici.

Sommaire

 
* Contexte internétique
* Naissance, vie et mort des fora politiques
* Le ressort, l'intérêt
* Les fora automobiles
* Les nouveaux canaux d'échanges

- bannière "Aragorn" du second forum ViveLeRoy VLR2 -

Contexte : Les fora sont apparus sur Internet dès que les plateformes d'hébergement proposèrent aux consommateurs des logiciels d'écriture en ligne directe. On gagnait l'instantanéité que n'offraient pas les blogues à commentaires ou les messageries sur boîtes. Les discussions étaient possibles sans limites techniques sur tous les sujets. Des règles de bienséance, la Netétiquette, apparurent rapidement pour canaliser l'émotion. Nous ne parlons ici que des fora grand public libres d'accès et pas des sites d'échanges techniques le plus souvent fermés. Après les fora de jeunesse, les fora pratiques, arrivèrent les fora politiques. Peu ont survécu aux nouveaux canaux d'échange que nous évoquerons à la fin.

Les forums politiques, ouverts comme chambre de débat annexe à l'organe officiel qui fixe la ligne de combat, se sont révélés très vite comme de bons outils de propagation des idées mais aussi de leur raffinage, le forum étant un crible capable de trier les scories dialectiques inutiles, les contre-sens, les impasses.
La supériorité d'un forum sur l'échange oral, est que la matière dialectique est écrite, le fil de discussion se constitue de réponses, précisions et souvent aussi de digressions pour ne pas dire divagations. Il en reste quelque chose, et le forumeur fait assez vite attention à ce qu'il écrit car la trace est quasiment ineffaçable et son IP (numéro de protocole Internet) enregistré.
Pour le visiteur d'un forum, l'accès au débat est facile, même en cours de discussion, car l'histoire du fil est consultable directement, sans ouvrir des archives, en remontant simplement les pages, ce qui est impossible dans un débat oral. (RA - 18.06.2008)

Vie des foras politiques : Ils naissaient à l'initiative d'un simple militant, d'un chef de cellule, du responsable "Jeunes" d'un parti politique. Tous avaient un message à faire passer et s'échinaient à forcer la conversion du passant. Ils induisaient donc naturellement polémique et désordre qu'il fallait canaliser soit d'autorité soit par la dialectique. L'accumulation des inscriptions et la masse de messages postés donnaient vite l'illusion d'un mouvement irrépressible, ce qui aiguisait l'appétit de condottieri s'estimant plus malins et pugnaces que les administrateurs en charge du fonctionnement courant. D'autres investissaient le forum pour en faire leur chose et s'y faire reluire. On a même vu des coups d'Etat pour récupérer le mouvement perçu !

Mais les sujets, même les plus vastes, sont limités et au bout de quelques années le forum tourne en rond après avoir épuisé le fonds ! L'audience baisse après que les contributeurs commencent à radoter, pour finir par s'éteindre. Et, on l'oublie trop souvent : chacun a une vie après Internet et les occupations, soucis et centres d'intérêts varient au fil du temps.

Le ressort du forum : Le forumeur vient s'il y trouve son intérêt, la curiosité ne suffit pas ; entrée et sortie sont libres. L'intérêt doit donc coïncider au but assigné au forum par ses administrateurs, à moins qu'il ne s'agisse pour le visiteur de justement contrer ce but. Les fora politiques convoquent les deux attitudes, ce qui alimente les polémiques et des fois les tue.

L'ennemi n°1 du forum c'est le syndrome du compartiment. Les plus anciens font bloc et prennent de haut les nouveaux venus, ce qui décourage de réels talents de contribuer, qui ne viennent pas pour s'étriper. C'est assez courant dans les clubs de voitures anciennes, à moins d'avoir le modèle à deux cent mille euros qui fait taire tout le monde. Il arrive souvent que des participants plus assidus que la moyenne s'arrogent à l'ancienneté une autorité de modérateurs. Il n'est pas si simple de les cantonner à leur vraie place.

Les fora automobiles sont un bon exemple de fonctionnement. Ce sont tous des fora de marque ou de pratique (raid, 4x4, sport). Les participants les découvrent à deux occasions : la recherche d'un modèle précis dont on veut tout connaître avant l'achat ; sinon la solution d'une panne ou d'une énigme mécanique. La crédibilité d'un tel forum passe par la contribution assidue d'un (ou plusieurs) mécanicien capable de dépanner ou de déchiffrer l'énigme. Certains comme Histomobile rémunéraient un mécano expérimenté, souvent un retraité de garage. Histomobile est devenu depuis une grosse machine encyclopédique et son fondateur bronze sur la Riviera. Patrol-GR, Le Temps des Séries, Landmania disposent de mécanos. Parmi les participants il y a ceux qui "prennent" et ceux qui "rendent". Profiter d'un tutoriel devrait être compensé par la mise en ligne de sa propre expérience afin de nourrir le stock. Dans les fora politiques c'est la même chose. Certains mangent sans ne jamais rien partager, sinon postent une phrase par ci par là pour faire tourner le compteur de messages. Si vous changez de marque, vous abandonnez le forum automobile. Idem sur un forum politique, quand vous avez fait deux fois le tour de la doctrine, vous passez à autre chose à moins d'avoir perdu la mémoire, sauf que sur le forum automobile s'accumule une masse impressionnante de matériau technique qui attire en permanence les nouveaux adeptes.

Nouveaux canaux d'échange : Beaucoup de fora ont fermé quand Facebook s'est déployé sur le Net. Mais le succès (pour ce que j'en vois) reste mesuré, moyen moyen. Par contre les réseaux communautaires qui se montent sur des applications comme Whatsapp ont le vent en poupe. Rapidité, maniabilité (diffusion d'images, de liens, de vidéos) et relative discrétion alors qu'un forum (ouvert) est public. Je connais de tels réseaux d'une centaine de participants réguliers qui dépassent le trafic d'un forum achalandé. L'avenir passe par le téléphone, la 5G et l'oralité avec l'interprétation simultanée. A partir de ce moment, ne resteront que les fora fermés, spécialisés soit dans la recherche soit dans le débat de management etc. Les supports grand public seront délaissés car trop lents, et la politique se fera ailleurs ; elle est déjà sur Twitter. Reste l'exception qui confirme l'absence de règles, le forum politique de Jeuxvideos.com !


En conclusion et pour répondre tout à fait à la question posée par M. Jacques :

- le forum Viveleroy est mort de cachexie comme expliqué en commentaire de l'article Royal-Artillerie précité ;
- le forum de l'Action française a été fermé par le comité directeur car il avait dévié de sa ligne didactique et soulevait trop de bonnes et mauvaises questions ; cette fermeture a donné lieu à débat sur Royal-Artillerie à la suite d'un long article dédié à ce retrait et titré De l'(in)utilité des fora (clic) ;
- le forum du Trône et de l'Autel a été stoppé par Mickaelus, son fondateur, par suite de la liquéfaction des participants dont certains furent à mon avis secoués trop fortement par un nouveau converti qui voulait imposer ses idées à tout prix, le forum dut-il y périr (à lire ici le motif très bien expliqué par Mickaelus) ;
- le forum UCLF de Mavendorf a été fermé volontairement sans doute à cause de la foire d'empoigne déclenchée par les derniers arrivés (comme souvent) qu'un défaut d'autorité ne sut régenter (clic) ;
- il ne reste dans le microcosme que le récent forum ultra-légitimiste de Prince de Talmont (c'est un pseudo) ; complotisme récurrent, angle étroit, attention au glaucome. Il fera le cycle complet ;
- plusieurs tentatives de lancement sont apparues dans le temps chez diverses communautés royalistes (URBVM, Le Lys Royal, La France Couronnée, La Triple donation, etc.) et ont échoué faute d'inscriptions suffisantes.