Le futur des médias

La Librairie Arthème Fayard a publié début janvier 2021, une Histoire des médias de Jacques Attali. C'est un pavé de cinq cents pages ; 415 de rédactionnel, 11 pages de graphiques, 46 pages de bibliographie classée, index des noms propres et table des matières. Autant dire que c'est une bible, à jour puisqu'elle va jusqu'en 2100. Ça se lit d'une traite et les royalistes tentés par la communication seraient bien inspirés de l'acquérir et de l'analyser. La recension que nous en faisons est brève, nos commentaires sur la situation du Roycoland sont plus longs. Voici déjà la quatrième de couverture du bouquin :

Une histoire de l'information et de ceux qui la font des origines à nos jours, et jusqu'aux enjeux de demain.
« Depuis toujours, l’homme a besoin de savoir ce qui le menace, ce qui nuit aux autres ou les sert. Et pendant longtemps, seule une poignée de puissants, souverains, religieux, marchands, ont eu le monopole de l’information, de sa fabrication à sa circulation. Une information libre, diffusée par des médias accessibles à tous et établie par des professionnels cherchant la vérité est le fruit d’une histoire récente, inattendue, fascinante. Et elle est à présent terriblement menacée.
  • Comment distinguer le vrai du faux, l’information de la distraction ?
  • Quel rapport entre informer, convaincre, enseigner, distraire ?
  • Comment la démocratie résistera-t-elle aux formes de censure et de surveillance ?
  • En quoi le déluge actuel et à venir d’informations, vraies ou fausses, influera-t-il sur notre façon de gérer les grands problèmes d’aujourd’hui et de demain ?
  • Les réseaux sociaux, outils de surveillance généralisée, qui font de chacun le journaliste de lui-même, seront-ils balayés par une vague technologique plus puissante ?
  • Les journalistes seront-ils remplacés par des automates ou resteront-ils des acteurs irremplaçables de la démocratie ?
Tels sont les sujets de ce livre. Encore une fois, comme pour tous les autres domaines dont j’ai tenté jusqu’ici de prévoir le devenir, celui des médias, vertigineux, ne peut être imaginé et maîtrisé qu’en remontant très loin dans son histoire, ou plutôt ses histoires. Ses passionnantes histoires. » J. A.


Jacques Attali, à qui l'on n'apprend rien, utilise l'empirisme organisateur d'un bout à l'autre du livre, avec cette formule heureuse qui resservira une autre fois : « Quelle que soit l'immensité des changements technologiques, démographiques, culturels, économiques, politiques et historiques, rien d'essentiel n'a changé depuis des millénaires ; du passé, on peut toujours extraire des lois, valables pour l'avenir.» Ceux des lecteurs qui sont pressés peuvent obéir à l'injonction de l'auteur : lire tous les intertitres des dix premiers chapitres en s'arrêtant aux paragraphes qui les interrogent, puis lire in extenso les trois derniers chapitres pour en tirer les conséquences. Je n'ai pas obéi et j'ai tout lu. Bien m'en a pris, j'en ressors différent.

Attali n'assène pas, il démontre, que tous les supports actuels d'information vont mourir et à échéance de deux ou trois générations, on communiquera de cerveau à cerveau. D'ici là il faut briser le monopole de l'information à sens unique, monétisée par le vol de données personnelles, que diffusent les GAFA (et les BATX chinois) en les démantelant, mieux encore en leur interdisant de phagocyter les innovateurs qu'ils rachètent très cher pour les incorporer à leur hégémonie et étouffer toute concurrence dans leur juteuse prédation.

Quel que soit le canal de transmission de l'information, les utilisateurs devront être éduqués à la consommation de nouvelles pour être capables de les trier et de les comprendre dans un contexte utile. Mais la masse en circulation laissera du champ aux fausses nouvelles, rumeurs, incantations jusqu'aux complots d'opinion dans lesquels s'abîmeront les naïfs et les gens peu éduqués qui, malheureusement, formeront les gros bataillons du lectorat. Les informations critiques de première main seront cryptées et diffusées aux décideurs sur abonnements (très chers), comme ce fut le cas des avvisi de la Renaissance italienne, afin d'anticiper les faits et conséquences qui leur rapporteront beaucoup d'argent. Voilà, il faut lire ce livre.

Quand on regarde maintenant la situation de la communication royaliste, on ne peut s'empêcher de craindre sa disparition dans le grand maëlstrom promis. Les organes proprement royalistes sont rares et minces quand ils sont imprimés. On citera la revue Politique Magazine de Jean Viansson-Ponté, le bulletin Le Bien Commun de l'Action française, Royaliste de la NAr (Bertrand Renouvin) et c'est à peu près tout. Une mention spéciale pour une revue légitimiste imprimée par une rédaction de qualité consacrée à l'histoire, Savoir de la Vendée militaire. Tout le monde regrette Les Epées et dans un registre différent, Le Lien Légitimiste. Le grand journal royaliste de kiosque n'existe plus mais il y a une raison à cela, outre l'obsolescence du format "journal d'opinion" : les rédacteurs royalistes, parfois contrariés par les chapelains, ont été accueillis dans les rédactions de revues papier comme Causeur, Valeurs Actuelles, et même jusqu'au Figaro ou au Point où ils sont plus libres que dans les organes militants et peuvent propager l'idée du roi sur un public plus large. D'aucuns intègrent des médias plus marqués à droite comme Rivarol ou Présent. Il n'empêche que tous ces supports subissent le reflux de la presse écrite qu'ils tentent d'endiguer à s'adossant à des sites Internet et à des applications pour smartphone ; ils font passer toute la réclame pour leur titre par les publications sœurs, les émissions polémiques de télévision, des newsletters sur abonnement et par les réseaux sociaux où les Community Managers doivent veiller J7H24. Ceux qui en sont exclus ne durent pas. La presse à papa est déjà bien loin. Le reste est diffusé numériquement. A quelques exceptions près, les sites royalistes sont des revues de presse qui compilent des articles déjà publiés partout ailleurs pour les commenter, voire les présenter sous un bref chapeau d'orientation, parce que ces sites n'ont pas de rédaction en propre. Les deux "Faute-à-Rousseau" sont de ceux-là. Les exceptions notables sont peu nombreuses finalement : le blogue du "Conseil dans l'espérance du roi" de Jean-Yves Pons qui est tous les jours rédigé mais se limite à l'indignation ; "Vexilla-Galliae" est aussi un site rédigé mais à angle étroit, réservé aux purs blancs. Le nouveau blog du cybermilitant Frédéric de Natal consacré aux nouvelles du Gotha commentées avec alacrité, rédige. Mention spéciale pour le blog de la Charte de Fontevrault qui rédige de temps en temps mais dans la sphère exiguë du providentialisme. On ne met pas dans le panier "presse" des sites confidentiels de fonds comme "Vive-le-roy" de l'UCLF, celui du Groupe d'Action royaliste, essentiellement social, ou le blog de Jean-Philippe Chauvin, qui produisent de la qualité mais sont limités à un lectorat acquis d'avance et qui, malgré leur niveau intellectuel, ne seront jamais cités dans la presse écrite. Pourquoi, je n'en sais rien. On en vient maintenant à la fabrication de l'information.

La presse royaliste résiduelle, numérique ou papier, crée très peu d'information originale. Son champ de prédilection est comme on l'a dit plus haut, de commenter en extrayant du champ médiatique une nouvelle déjà publiée. La presse royaliste n'a pas de journalistes à l'extérieur, pas de reporters, sauf si le parti manifeste dans la rue ; mais des penseurs, beaucoup ! Les raisons en sont le manque d'argent et la faiblesse des effectifs abonnés. Le second provoque le premier. Il n'y a pas non plus de moteur central. Malgré la profusion de sites monarchistes personnels et ceux publiant des avis de messe (sur blogs ou dans des pages Facebook), il n'y a pas d'agence de presse monarchisante qui produirait des inédits propres à la cause. S'informer de la querelle opposant le comte de Paris à la Fondation Saint-Louis dans Le Parisien libéré en dit long sur notre repli. On peut dès lors prédire la disparition du média typé royaliste, même si les idées royalistes continueront à se diffuser sur des supports extérieurs à la cause mais les "hébergeurs" garderont l'imprimatur au marbre. Oublions déjà toute possibilité d'une campagne de presse pro domo en période de rupture de paradigme constitutionnel. Des rédacteurs monarchistes ne pourront promouvoir leur champion dans un journal dominé par le Front national qui roulera pour le sien propre. Dans un jounal souverainiste, pareil. Cette marginalisation à l'œuvre depuis la disparition du quotidien L'Action française (1908-1944) est une malédiction dès lors que soixante-quinze ans plus tard, la situation n'a pu être rétablie ; au plus haut, ce fut l'hebdomadaire La Nation Française (1955-1967) de Pierre Boutang. Dans le monde de la communication future, les émetteurs royalistes, bien trop sûrs d'eux aujourd'hui, resteront à la traîne des évolutions telles que les pressent Jacques Attali. Il ne suffira plus d'ouvrir des comptes Facebook, Instagram ou TikTok pour participer à l'embolie médiatique jusqu'à la folie de la transmission de cerveau à cerveau, d'autant que ces supports sont tous mortels. Pour qu'existe un éclairage royaliste (ou simplement monarchiste) de l'actualité de nos sociétés dans l'avenir, il faudra complètement repenser le système de communication du mouvement en tenant compte des anticipations que la profession est en train d'explorer. Lire le livre. Sont-ils nés les producteurs d'avvisi numériques de demain, les monarchistes de la télépathie ?


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