Les médiats étant motorisés par l'Audimat télévisuel et les clics numériques, le scandale a plus de chances d'attirer leur attention que le raisonnement. Ainsi j'attendrais du microcosme une certaine compromission sociale en portant le scandale au niveau des régies afin que nous apparaissions dans les lucarnes pour ensemencer l'opinion à l'idée du roi. "L'école de pensée" a-t-elle vécu faute d'adeptes en nombre ? Pour s'en convaincre il faut comprendre comment fonctionne les pervers-narcissiques médiatiques et j'ai retrouvé une analyse assez surprenante de Henri-Pierre Jeudy datant de l'époque morose (pour lui) où le pouvoir socialiste, happé par l'argent et la concussion, finissait tranquillement ses jours sous la férule mal assurée d'un président vindicatif à l'agonie. Il adosse sa démonstration aux catastrophes du stade de Furiani et du déluge biblique de Nîmes.
« Les media favorisent techniquement la scène publique de l'opprobre en développant toutes les armes de la suspicion dans cette démonstration ostentatoire de la dénonciation du coupable. Ce qui fait dire à l'homme politique que le pouvoir n'est plus entre ses mains, qu'il est débouté de sa souveraineté par les media. Au nom d'une vérité de l'information, les media assurent le démontage standard de l'événement et permettent de fonder un jugement moral consensuel. Ils réussissent un tour magistral en faisant apparaître comment la dénonciation de leur propre obscénité est encore plus obscène. Le jeu de miroirs est sans fin : les images du pouvoir existent par les effets d'une indignation partagée. L'origine de la décision politico-économique disparaît dans le mouvement de la réciprocité des accusations. Et la responsabilité devient un moyen visible de l'assignation au pouvoir par la négation. Le responsable est celui qui se fait prendre. Il est désigné comme figure de la perversion. Les coupables sont là pour montrer que le pouvoir existe encore, même s'il n'a pas d'origine repérable, et qu'il faut sans cesse l'épurer. Les tumeurs du pouvoir sont frappées de visibilité tandis que la machine politico-administrative continue, dans l'ombre, à tourner sur elle-même. Les catastrophes témoignent désormais du bon fonctionnement de l'ordre technico-moral.
Chaque événement meurtrier peut devenir un symptôme du malaise de la société et un révélateur des contradictions économiques et politiques. Une telle dynamique ne risque plus d'être perturbée : tout ce qui sera désastreux a virtuellement une place dans la métamorphose nécessaire des sociétés et de l'ordre mondial. Cette vérité absolue du symptôme est devenue le principe fondateur de la revendication morale des journalistes. Plus la monstruosité est dénoncée par les télé-événements, plus la légitimité des media se trouve consacrée par son éructation moralisante. Le journaliste, au comble de ses convulsions déontologiques, se doit de montrer publiquement que tout le fracas fait autour de l'événement meurtrier est justement le signe de sa propre pudeur quand la vérité éclabousse.
L'image médiatique absorbe toute forme critique de la violence par le constat de l'obscénité du réel. Et le système des prises de position vient conforter la permutation des causes et des effets. Qui critique qui ? Qui dénonce quoi ? Les instigateurs de l'interprétation, les protagonistes de la pétrification des conflits sont des marionnettes capables de faire tourner le sens du discours selon les rebondissements de la situation. Il n'y a rien de caché : la pièce manquante du dossier est là, en instance d'être produite pour surmultiplier les effets de l'information. Le télé-événement n'est pas une pièce à conviction, il sert de commutateur pour déclencher les chaînes de transmission de l'interprétation et de la justification. Le spectacle de la catastrophe, par son hyperréalisme, devient la scène d'origine, le fantasme piégé des angoisses collectives.
Sur place, là où l'événement meurtrier s'est produit, les gens sont dépossédés immédiatement de ce qui vient de provoquer leur traumatisme. Seul demeure le silence de leur émotion. Les victimes survivantes sont interviewées comme des spectres dont les paroles vont confirmer le processus de l'interprétation. Ils subissent les dispositifs de sens comme une seconde catastrophe. Ces témoins ne sont pas pétrifiés par le choc de l'événement mais par le despotisme terrorisant des médiateurs du sens. Tout s'est exactement passé comme les tyrans de l'exégèse moderne le disent. Et la dénonciation des raisons politico-économiques du désastre couronne le dévoilement de la vérité comme la véritable cause salvatrice.
Ne vous laissez pas berner par le destin, les media vous aident à lutter contre la fatalité ! Toute la lumière sera faite, les coupables seront désignés, tout rentrera dans l'ordre : le sort des hommes est entre leurs mains même si quelques mains seulement s'en emparent. Et les idéalistes forcenés de la gestion des risques pourront toujours dire que, dans une société mieux organisée, ce qui vient d'arriver n'aurait pas eu lieu. C'est encore une façon d'annoncer que, décidément, il ne s'est rien passé » (ndlr: qui puisse troubler l'establishment].
(source : LIGNES 1993/1 n°18 Le vol des morts de Henri-Pierre Jeudy)
L'establishment pour les médiats est l'écosystème de leur propre pouvoir. Il inclut généralement la sphère universitaire, il grandit chaque jour et la question que devrait se poser tout contre-révolutionnaire est celle de bien situer le pouvoir à combattre. Qui a le pouvoir ? Henri-Pierre Jeudy dénonça très tôt l'irruption des médiats dans la sphère décisionnelle, directement parfois dans des procès cathodiques, par influence lors de campagnes de presse en période électorale mais pas que. Si le pouvoir politique est fort, la presse et assimilés font de l'information et du commentaire. Le pouvoir politique faiblit-il que déjà montent au créneau des experts dont la science nous est vendue indiscutable par les chaînes d'information, et qui dictent la marche à suivre, l'infléchissement incontournable, la réforme indispensable sous peine de pilori. La presse s'approprie le discours acceptable pour se maintenir sur ses positions et le diffuse largement à l'exclusion de tout autre. On voit les gouvernements retraiter en plus ou moins bon ordre devant les assauts du quatrième pouvoir capable de mettre les masses en mouvement. Mais ce pouvoir est bien plus pernicieux dans sa dictature de l'opinion qu'on ne le croit, en ce qu'il stérilise tout ce qui ne passe pas par lui. Tout ce qui viendrait contredire son discours pro domo est à détruire. Après le ressac de la presse écrite, ne parlons pas des revues savantes qui reviendront bientôt au polycopié, il n'est aujourd'hui d'évènement que le télévènement. Les médiats en sont parfaitement conscients qui gèrent l'apparition et la disparition de voix qu'ils jugent "bonnes d'expression" ou interdites. D'où le tapage contre la presse Bolloré qui est sortie du champ de manœuvre délimité. L'incidence est directe sur la communication des courants minoritaires qui est bridée par les pontifes médiatiques, mais plus encore sur la communication groupusculaire par abonnements telle qu'elle se pratique dans le microcosme royaliste. Aucune contribution de notre bord à l'espace médiatique ne vaut si elle n'est pas un télévènement. Les démêlées judiciaires de l'Action française avec le ministre de l'Intérieur ont fait savoir aux gens qu'elle existait encore puisqu'on l'avait vu défiler. Et puis rideau ! Pareil pour les communiqués des princes, parfois intéressants ; ils sont contents d'avoir dit quelque chose de sensé, mais ils n'impriment pas ! La conspiration du silence. Dire ou se taire revient au même sans le porte-voix cathodique. Nous refusons de le croire et nous persistons dans une voie en impasse mais qui flatte l'ego de quelques-uns se disant "rédacteurs-en-chef". Ils ne sont lus que par une poignée de croyants, et ça leur suffit.
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