Monarchisme versus royalisme

Pris dans une dispute cornecul sur la différence entre ces deux concepts, je me suis échappé au premier signe d'incompréhension pour ne pas alourdir mon casier d'anarchiste, mais la question peut être débattue ici entre gens de bonne compagnie ouverts aux idées parfois iconoclastes mais qui s'avèrent à la réflexion… utiles à la communication du parti du roi. Bien savoir de quoi l'on parle est essentiel car monarchisme et royalisme ne sont pas équivalents.

Il ne faut pas partir sur la "monarchie" et la "royauté" dans ce débat parce que le cœur du sujet c'est le suffixe dérivationnel en -isme. L'affixe placé à la fin d'une unité lexicale en modifie le sens du tout au tout. En -isme l'affixe est un pur suffixe qui, selon le CNRTL, modifie la catégorie sémantique du radical et particularise son contenu. Alors que monarchie ou royauté annonce un état fixé par des règles (très souvent immuables), monarchisme et royalisme annoncent une appétence, une doctrine, une addiction, une maladie ; en un mot, le mouvement, la dynamique qui s'oppose à l'image statique précitée d'un état figé.

Dès lors, la description de l'état de monarchie ou de royauté ne répond pas à la question posée de la différence entre ces deux termes, même à en faire des tonnes en remontant à à la République de Jean Bodin, car son intérêt s'adresse aux débutants en français facile du niveau de la classe de cinquième, selon le programme de l'institution. Comment lancer l'étude ? Par une définition synthétique : le monarchisme privilégie le régime de gouvernement quand le royalisme privilégie le titulaire de la charge.
On pourrait ajouter que l'un est dans l'autre quel qu'il soit mais pas l'autre dans l'un, selon Erwin Schrödinger.

Le monarchisme étudie l'organisation du gouvernement des hommes dans les trois ordres de la pyramide sociale (orants, pugnants et laborants] reprise de la tripartition sociale des carolingiens (Adalberon) et déployée dans la charpente féodale européenne qui édicta privilèges et droits attachés à chacun. La pointe en est confiée à un seul être, si possible humain, qui dans sa position acquiert tous les pouvoirs à tout le moins moraux.
Le travail d'étude des rapports sociaux dans la pyramide consiste à savoir combien d'étages subordonnés le monarque contrôle exclusivement. Par convention on appelle ce domaine exclusif le domaine régalien et de nos jours, on le décline en cinq pouvoirs, ceux de justice, sûreté, guerre, diplomatie et trésor. Plus le monarque contrôle de pouvoirs au-dessous de ceux-là, moins il laisse de libertés aux éléments constituant la pyramide et inversement.

En passant, notons que la vieille monarchie française dite absolue (ne dépendant de personne d'autre) a accouché d'une république bien plus invasive qu'elle ne l'était, puisque son successeur a atomisé la société de façon à la contrôler pleinement jusqu'au niveau même de l'individu, en enjambant les justices, guildes, corporations et ordres. Aujourd'hui, du berceau à la tombe, l'Etat s'occupe de tout et ça s'aggrave. L'aboutissement total est le contrôle social chinois.

Toute étude d'une monarchie, le monarchisme donc, revient à mesurer l'étiage des libertés basses, d'où le slogan maurrassien : "l'autorité en haut, les libertés en bas" qui appelle où tracer la barre.

Le royalisme pour sa part s'intéresse à la pointe de pyramide, essentiellement à sa légitimité transcendée, et plus spécialement au droit qui règle ses pouvoirs qui ne sont jamais nuls.
Le plus simple est de reconnaître la transcendance divine et d'appliquer un droit divin que créeront les clercs intéressés à la conquête des âmes. A part le Décalogue, on ne connaît pas de codex tombé du Ciel. Il faut donc l'inventer (au sens second). Le droit divin n'est pas celui des caprices royaux mais de l'asservissement du roi à l'église.

Dès qu'il s'occupe d'organiser les pouvoirs subordonnés, le royalisme devient du monarchisme. D'où la propension des royalistes purs qui craignent de se compromettre avec les études sociales, à explorer l'écosystème mystique de la pointe de pyramide sans trop descendre. On entre là dans un cosmos de conjectures où rien ne peut apparaître en dehors de la foi. Jean Raspail, qui avait creusé la question toute sa vie, jugeait le retour du roi improbable parce qu'il ne pouvait procéder que d'une rechristianisation de la société, réputée impossible. En fait c'est la foi qui fait le roi.

Le royalisme est finalement assez facile à appréhender dans son essence même. Il est quelques exceptions nées de circonstances particulières non généralisables ; on pense au despote éclairé, athée par définition, qui a dirigé par exemple le royaume de Prusse dans un esprit monarchique intégral.

A quoi savoir tout cela peut servir ?

Cela sert à construire une dialectique ordonnée prônant le retour à la monarchie de nos pères, qui fit ce pays quand leurs héritiers le défont. Plus simplement à juger de la pertinence d'une doctrine et de l'intelligence du doctrinaire qui la promeut dans la sphère royaliste. Le monarchisme, qu'il soit d'appétence ou obsessionnel, tient debout par lui-même. Le royalisme sans lui n'existe pas longtemps. Finalement l'un dérive de l'autre, ils ne s'opposent pas mais dans l'étude de cas, il faut toujours se rappeler dans quel -isme on se trouve et tout sera plus clair.


Reste un sujet un peu spécial celui des monarchies fantômes dans un royaume constitutionnel (notez qu'on ne peut dire "royautés fantômes"). Les comportements politiques y relèvent plus de la psychologie que des pouvoirs conférés. Le cas anglais s'applique avec peu de nuances à toutes les monarchies du nord et au royaume d'Espagne. Il s'agit d'évaluer l'influence politique et le rayonnement d'un monarque en charge sur le titulaire du pouvoir exécutif. On pourrait dire plus élégamment l'ombre portée de la pointe de pyramide. En mêlant monarchisme et royalisme, on peut expliquer cette zone grise des rapports humains entre le chef de l'état impuissant en droit et son premier ministre souverain maître de la conduite du pays :

D'abord le chef d'Etat assume une fonction constitutionnelle en légitimant au nom de la nation dont il est le chef la politique générale du gouvernement choisi par les Communes. Ce discours du Trône, écrit par le premier et récité par le roi à l'ouverture des sessions parlementaires, vaut par sa simple lecture approbation de la nation britannique.
Mais la fonction de chef d'Etat la plus discrète n'est pas la moins importante : il reçoit chaque semaine le premier ministre en tête-à-tête politique pour échanger leurs idées ; le souverain y exerce ses droits coutumiers : "the right to be consulted, the right to encourage, the right to warn".
Cet "exécutif informel" signale que la fonction de chef d'Etat britannique n'est pas neutre et que selon le caractère du monarque, l'influence politique est bien réelle, même si elle n'a pu empêcher le calamiteux Brexit.


En conclusion, sérier dans le débat d'idées ce qui relève du monarchisme et ce qui relève du royalisme permet d'appuyer ses arguments sur des développements ouverts dans des espaces dialectiques précis. On y gagne en clarté et en temps, tout en évitant les sommes assommantes de traités indigestes que plus personne ne sait synthétiser aujourd'hui.
Le roi accompli est un monarque thaumaturge, en ce qu'il prouve de qui il dépend. Le reste est politique et ressortit donc à la monarchie.


Sur les trois ordres, on peut relire l'ouvrage fondamental de Georges Duby (Gallimard 1978)

7 comments:

Anonyme a dit…

Salut Cato.
Tu sembles penser à la légendaire pyramide aryenne à quatre faces, trois dressées et un socle, celui des esclaves fournissant l'énergie primaire.
C'est elle qui est à l'origine des organisations par ordres constitués. Par contre le sommet de la pyramide ne change jamais quand il est permanent : C'est la force de cette construction.
(Jim)

Catoneo a dit…

Salut Jim, ça fait longtemps.
J'aurais pu partir de cette organisation sociale moins connue, mais elle est trop connotée de nos jours et certains lecteurs se seraient mépris.
Le monarchisme traîne un boulet fascisant depuis la "divine surprise" de Maurras. Mais cette pyramide première explique aussi beaucoup de choses.
A plus. Sans faute !

René a dit…

Salut Jim. La définition concentrée de la différence retenue par notre ami pour séparer les deux idées est la bonne, surtout associée au "chat" !
La France royale devient une vraie monarchie après la correction de paradigme exigée par la victoire de Mazarin sur la Fronde. En simplifiant un peu, le roi en son palais était jusque là la plus haute clef de voûte du système qui pouvait au quotidien fonctionner sans lui. Les étages subsidiaires étaient pourvus de tous les attributs du pouvoir, jusqu'à la haute justice dans certaines provinces. Il en restera d'ailleurs des traces regrettables dans l'affaire du Chevalier de La Barre sous Louis XV.
Richelieu avait œuvré à l'édification d'un Etat central sans aboutir parce que les grands du royaume s'en étaient méfiés. Quand après avoir constitué une Cour politique à Versailles, Louis XIV prononce sa phrase célèbre "l'Etat c'est Moi" il ne fait pas un péché d'orgueil mais il assène que les pouvoirs quotidiens ont été remontés à son niveau. D'ailleurs à l'époque "état" et "roi" étaient synonymes dans le langage courant.
Le pouvoir royal est dès lors pleinement monarchiste. La transition montre la différence.

Catoneo a dit…

La dispute n'est pas académique. On voit comment fonctionne en France une monarchie élective dans les lices de la constitution de 1962. Il suffit au chef de l'Etat de tenir par ses affidés deux ou trois contre-pouvoirs comme le conseil constitutionnel (Richard Ferrand) pour exercer des pouvoirs dépassant ceux de Louis XIV, même en l'absence d'un renfort parlementaire dans ce qui est en droit une république parlementaire.
Etudier la mécanique de l'Etat français actuel, son domaine réservé et ses complications d'horlogerie, c'est du monarchisme pur. D'ailleurs M. Macron ne s'en défendrait pas.

JYP a dit…

Cher ami, me voici enfin de retour (avec une boite mail qui frise l'embolie) et je tombe de ma chaise en lisant votre contribution. Mais, sacrebleu, où allez-vous chercher toute ces brillantes réflexions ? Je dois l'avouer, je n'avais encore jamais été confronté à une vision aussi limpide et synthétique de ce qui n'a cessé de nous embrouiller jusqu'à présent. Je comprends que vous ayez fui le blogue d'AT...
Dès lors la perspective de la "monarchie de nos pères" paraît plus facilement accessible mais encore faudrait-il parvenir à nous débarrasser de l'usurpateur élu (et même réélu ce qui en dit long sur le chemin à parcourir). Aussi je m'interroge toujours et depuis longtemps sur la réflexion de Jim quant à l'organisation de la légendaire pyramide dont on aurait pu penser qu'elle pouvait s'imposer et assurer sa survie en Espagne en 1939... RATÉ ! Mais pour d'autres raisons.

Catoneo a dit…

Merci du compliment, mais ce n'est jamais qu'un exercice de logique à mon humble niveau. Il n'y a ni ruse dialectique, ni sophisme comme on me l'a reproché ailleurs. Effets et causes doivent se dérouler naturellement à partir de la position considérée.
S'il doit me rester quelque chose de ma scolarité classique, je dois beaucoup à Isidore Boiffils de Massanne qui a expliqué le régime féodal au niveau d'une baronnie, celle d'Hierle en Languedoc, et sa dégénérescence tout aussi naturelle à mesure du changement des intérêts économiques réciproques jusqu'à leur opposition frontale.
Sous l'ancien régime, le grand tournant c'est la Fronde qui provoque un césarisme brutal, mais rétif à toute réforme de fond au bénéfice des forces vives.
L'Angleterre a su maintenir le sien. La charpente féodale s'appelle autrement mais les duchés continuent à rapporter aux ducs.

C. a dit…

Le monarchisme mute très rapidement en royalisme. Chaque fois que j'ai proposé à quelqu'un une alternative à la classe politique faillie en sauvant le régalien de la dispute parlementaire, la première question n'était pas sur les ministères concernés mais sur le roi en fonction : Qui ?
Et les gens se déterminent en fonction de l'impétrant plus vite que sur les principes en jeu.
Les royalistes doivent savoir celà.

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